Les dérives sectaires ne se limitent pas seulement aux croyances. Depuis une dizaine d’années, ces dérives ont évolué : aux groupes à prétention religieuse viennent désormais s’ajouter une multitude de groupes ou d’individus qui investissent notamment les domaines de la santé, de l’alimentation et du bien-être, mais aussi le développement personnel, le coaching, la formation… La crise sanitaire a constitué un terreau idéal à ces nouvelles dérives sectaires. Des « gourous 2.0 » ou de nouveaux maîtres à penser autoproclamés agissent en ligne, mettant à profit la viralité des réseaux sociaux pour fédérer autour d’eux de véritables communautés.
C’est dans ce contexte que s’inscrit la loi, qui a été nourrie des propositions issues des premières Assises nationales de lutte contre les dérives sectaires réunies en mars 2023. Elle a un double objectif : adapter le cadre juridique applicable aux dérives sectaires aux évolutions de ces dernières et améliorer l’accompagnement des victimes. Les parlementaires ont enrichi le texte du gouvernement.
Réprimer les dérives thérapeutiques
La loi crée :
→ un délit de placement ou maintien dans un état de sujétion psychologique ou physique. Pour le gouvernement, le délit d’abus de faiblesse par sujétion psychologique créé par la loi du 12 juin 2001 dite About-Picard n’est plus suffisant à lui seul aujourd’hui pour réprimer les sujétions ayant causé une altération grave de la santé physique ou mentale et apporter réparation aux victimes ;
→ une circonstance aggravante de sujétion psychologique ou physique pour de nouveaux crimes et délits (meurtre, actes de torture et de barbarie, violences et escroquerie).
La loi instaure également un délit de provocation à l’abandon ou à l’abstention de soins et un délit à l’adoption de pratiques risquées pour la santé (exposant à un risque immédiat de mort ou de blessures graves), punis d’un an de prison et de 30 000 euros d’amende, voire plus. Depuis quelques années des « pseudo-thérapeutes » proposent, principalement via Internet, des pratiques qui détournent des personnes gravement malades (cancers…) des traitements médicaux. Il s’agit de poursuivre et de condamner plus facilement des comportements pouvant nuire gravement à la santé des personnes, sans pour autant interdire la promotion de pratiques complémentaires qui relèvent de la liberté individuelle. Ces délits ont été clarifiés par les députés pour garantir le respect de la liberté dans le choix de son traitement, la liberté de conscience et préserver la liberté de la critique médicale. Les lanceurs d’alerte n’ont pas vocation à être concernés par ces nouvelles infractions.
De nouvelles circonstances aggravantes liées aux dérives sectaires dans le cadre de l’infraction relative aux « thérapies de conversion » sont introduites (si la victime est en état de sujétion, si l’infraction est commise par un « gourou »…). La Miviludes, dans un rapport de 2021, a souligné les liens importants qui existaient entre les thérapies de conversion et les dérives sectaires.
Les peines en cas d’exercice illégal de la médecine ou de pratiques commerciales trompeuses sont renforcées lorsque ces délits sont commis via internet (jusqu’à 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende).
Pour faciliter le prononcé de sanctions disciplinaires contre les professionnels de santé déviants, la loi prévoit par ailleurs une meilleure information des ordres professionnels. Le ministère public devra informer sans délai les ordres concernés (médecins, pharmaciens, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes…) des décisions judiciaires prises contre des praticiens impliqués dans des dérives sectaires.
Consacrer la Miviludes
La loi dote la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), créée par décret en 2002, d’un statut législatif afin de la conforter dans ses missions. Ses missions sont, en outre, élargies. Elle devra s’assurer, en lien avec le ministère de l’Éducation nationale, que les programmes du secondaire intègrent la sensibilisation aux dérives thérapeutiques et sectaires.
Pour assurer l’information des acteurs judiciaires, le texte permet à des services de l’État, dont la Miviludes, d’être sollicités dans les procès de dérives sectaires.
Mieux accompagner les victimes et protéger les enfants
Davantage d’associations vont pouvoir se constituer partie civile pour des infractions à caractère sectaire. Aujourd’hui, seule l’association UNADFI (Union nationale des associations de défense de la famille et des individus victimes de sectes), association reconnue d’utilité publique, peut se constituer partie civile.
La loi ouvre cette possibilité à d’autres associations d’aide aux victimes de dérives sectaires, aux termes d’une procédure d’agrément (beaucoup plus souple que celle de reconnaissance d’utilité publique aujourd’hui exigée).
En outre, les associations antisectes pourront se constituer partie civile dans les affaires des thérapies de conversion réalisées dans le cadre d’emprises sectaires.
Le délai de prescription en cas d’abus de faiblesse ou de délit de sujétion sur un enfant est allongé. Il est porté de 6 à 10 ans à partir de la majorité de la victime.
Les autres mesures de la loi
Le texte a été enrichi pendant son examen parlementaire de nouvelles dispositions pour :
→ ouvrir une nouvelle possibilité de dérogation au secret médical spécifiquement dédiée aux dérives sectaires ;
→ exclure les organismes condamnés pour dérives sectaires du bénéfice des dons ouvrant droit à des avantages fiscaux ;
→ obliger les fournisseurs d’accès à internet (FAI) et les hébergeurs de contenus en ligne de concourir à la lutte contre les abus de faiblesse et le délit de sujétion, à l’instar de ce qu’il leur est déjà imposé dans d’autres domaines (lutte contre le harcèlement scolaire ou moral, provocation à la haine…).
Le gouvernement devra remettre deux rapports au Parlement d’ici un an :
→ le premier sur l’application de la loi dans le domaine de la santé mentale ;
→ le second sur l’utilisation des titres professionnels par des personnes exerçant des pratiques de santé non réglementées.